samedi 15 mai 2010

36 - Atours nietzschéens.


Sans jamais le revendiquer tout à fait explicitement (ce serait inefficace et de mauvais goût), Michel Onfray multiplie les signes pour nous inviter à voir en lui le Nietzsche du XXIe siècle : écriture rapide, fragmentée & stylisée ; pastiche de titre nietzschéen (Crépuscule d'une idole) ; références incessantes au corpus du philosophe ; rédaction d'ouvrage édictant le « bon usage de Nietzsche » (sous-titre de La Sagesse tragique) ; etc. Mais Michel Onfray est-il finalement un philosophe nietzschéen ? Laissons au principal intéressé, Nietzsche, le soin de nous éclairer à ce sujet :

« En tout cas il est aussi quelque chose de plus : à savoir un incomparable histrion [...] ce qu'il veut, c'est l'effet, rien d'autre que l'effet. Et il connaît fort bien la corde sensible à son effet ! [...] On est comédien lorsqu'on a sur le reste des hommes cet avantage bien précis : avoir compris que ce qui doit passer pour vrai n'a pas besoin d'être vrai. »

Michel Onfray n'est pas le Nietzsche de notre temps, juste le nouveau visage d'un histrionisme nommé Wagner.


vendredi 14 mai 2010

35 - Prévention et Rationalité.


Derrière la plupart des campagnes de prévention de tous ordres, on retrouve cette même croyance fondamentale que le comportement des individus trouve son moteur dans le calcul rationnel : l'individu maximiserait son bonheur en choisissant rationnellement les options qui lui paraissent les meilleures. Bien sûr, calculer rationnellement ne signifie pas que nous soyons à l'abri de l'erreur. Aussi convient-il d'aider les individus dans leurs calculs - d'où l'idée de prévention : informer des risques, des dangers, faire prendre conscience, afin que le calcul ne soit plus tronqué et que nous puissions enfin faire les bons choix en matière d'hygiène de vie. Si l'on suit cette logique, il est évident que les acteurs les mieux renseignés devraient aussi être ceux chez qui les choix néfastes, les mauvais calculs, sont les plus rares : or, il n'en est rien. Alors qu'aucun médecin ne devrait fumer, il est facile de constater que les médecins ne fument pas moins que le reste de la population. D'ailleurs, a-t-on réfléchit au fait qu'un "Fumer tue" très visible sur un paquet de cigarettes pouvait être une raison supplémentaire de fumer ? Ne serait-ce pas une opportunité bon marché de se donner l'illusion de narguer et défier la mort ?


jeudi 13 mai 2010

34 - La grande affirmation.


Il est indispensable d'apprendre à aimer la réalité non pas malgré mais avec ce qu'elle comporte d'équivoque, d'opaque, de douloureux, de cruel, de dérisoire, et d'insoutenable - l'aimer comme on aime les personnes qui comptent le plus. Nous ne choisissons pas le réel dont nous sommes une partie, nous ne pouvons choisir que la façon dont nous l'interprétons, dont nous prenons position face à lui - pour l'aimer ou pour le fuit, pour l'affirmer ou le nier. Je m'applique à repousser avec horreur le pessimisme, les "à quoi bon ?" qui poussent toujours - quoi que l'on fasse - au milieu même de la belle humeur la plus affirmée, comme des mauvaises herbes dans un jardin soigné - la belle humeur n'est pas un état, on ne la conquiert pas une fois pour toute : elle est l'objet d'une quête constante, infinie, pour laquelle il faut se battre, sans relâche et sans répit, avec une rigueur et une attention constante. Le découragement, la neurasthénie, l'impression d'universelle vanité de toute chose, sont autant de symptôme de la vie, de l'énergie créatrice retournant leurs armes contre elles-mêmes. Si tout n'est qu'une question d'interprétation, de posture adoptée face aux choses, alors cultivons les interprétations favorables, les postures joyeuses et légères, fussent-elles bouffonnes ; ce qui compte par-dessus tout, c'est la volonté d'aller toujours de l'avant, toujours plus loin, d'être créateur, toujours en mouvement, d'augmenter sa puissance d'exister... Il existe pour cela mille petits exercices très simples (pour commencer) : apprendre à être reconnaissant et à exprimer sa reconnaissance, à être généreux, à dépenser ses forces sans compter, avec abondance, à mettre en avant les éléments positifs, enthousiasmants de notre existence, ne considérer qu'avec les plus grands soupçons les négations qui ne sont pas le prétexte d'une affirmation plus grande.


mardi 11 mai 2010

33 - Le sceptique héautontimorouménos


Le sceptique, quand son scepticisme s'attache à disséquer impitoyablement le monde qui l'entoure, peut se sentir lucide, se sentir puissant - car il sait, ou croit savoir, que son regard intransigeant ne se contente pas du baume de la certitude, qu'il est prêt à affronter ce qu'il y a d'équivoque dans la réalité ; mais que ce scepticisme se retourne contre lui-même... et le doute devient abyssal - car alors le sceptique entrevoit avec effarement ce qu'il y a en lui de partial, de multiple, de changeant, de confus ; il se perçoit comme chaos, comme citadelle en état de siège perpétuel - le scalpel du scepticisme retourné contre soi est un crime contre la plus nécessaire des illusions.


32 - Que voulez-vous mon bon monsieur, il n'y a plus de saisons !


Il suffit qu'il fasse un peu froid, un peu gris, pour qu'immanquablement finisse par se glisser dans les conversations ce jugement familier et définitif : Il n'y a plus de saisons. En vérité, il y a si longtemps que cette monnaie là est en circulation que l'on n'en distingue plus la frappe : si l'on s'en réfère à elle, est-il seulement possible de se souvenir de la dernière fois
où il y a eu des "saisons" ? Le plus probable est qu'il n'y a jamais eu de saisons dans le sens où l'entend cette expression. La réalité n'est jamais l'accomplissement pur et simple d'une idée ; l'idée manque de nuance, elle n'est qu'une simplification du réel par le langage, une simplification utilitaire. Aucune saison réelle n'étant l'accomplissement parfait de son Idée, il n'y a pas de "Saisons" - ce qui est sensiblement différent de il n'y a plus de Saisons. Il faut encore remarquer ceci : généralement, ce n'est pas quand il fait anormalement beau que l'on constate le dérèglement du climat, c'est le plus souvent quand il fait un temps effroyable (quoique, depuis quelques années, avec le phénomène du "réchauffement climatique" et la fantasmagorie hallucinante et hallucinée qu'il traine à sa suite... l'anormal beau temps même devient occasion et prétexte de dénigrement). Cela me laisse à penser qu'il ne s'agit donc en rien d'un constat, mais bien plutôt de la marque d'une déception : il s'agit de dénigrer la réalité, de la rabaisser face à l'Idéal, comme pour s'en venger ; c'est la réalité qui est alors jugée anormale, inférieure à l'Idée de Saison, considérée comme norme et vérité - alors qu'elle n'est originellement qu'une simplification à partir de la réalité, admirez le renversement. Ce propos peut-être élargi : tous les jugements du type "il n'y a plus de ..." sont des symptômes de ressentiment, de dénigrement du réel. Par exemple : "Il n'y a plus de jeunesse", que l'on peut entendre dans la bouche de certains vieillards depuis la nuit des temps... cela signifie : je vieillis, j'en veux à cette jeunesse que je vois pleine de vie, d'énergie, d'insouciance, et je me venge d'elle en la discréditant... vengeance contre la vie... Mais, que diable !, c'est tout de même bien vrai : où sont passés les jeunes rustres illettrés et violents des campagnes d'antan ?

lundi 10 mai 2010

31 - Manque d'originalité.


Un défaut qui pourrait m'être reproché avec raison est de manquer parfaitement d'originalité ; le contenu de mes billets se contentent généralement de réécrire d'autres pensées, celles que je rencontre lors de mes lectures. Ce défaut est certes pardonnable : est-il nécessaire de faire preuve d'inventivité dans le domaine des idées alors que tant de lieux communs d'une grande finesse intellectuelle sont encore si peu fréquentés ? Pour l'instant, je me contente de digérer ces lieux communs par la reformulation... Peut-être, plus tard... D'ailleurs, je ne suis pas inquiet : Nietzsche affirme que dans le domaine du Libre Esprit, on est encore qu'un enfant à 30 ans... Oups ! Pris en flagrant délit !



30 - Allégorie philosophique burlesque.


L'usage prophylactique du papier toilette prédécoupé est le meilleur moyen de lutter contre la tentation de nous déguiser en momie - que l'on soit tenté de se momifier soi-même, ou que quelqu'un soit tenter de le faire pour nous.

29 - Trop de lectures tue la lecture.


Il y a quelques années, une idée folle s'est emparé de moi : il fallait que je lise tous les livres, ou, du moins, le plus de livres possibles. Fort de cette ambition, je passai mes trois mois d'été à dévorer autant d'ouvrages que je le pus ; en tout, une centaine de romans, pièces de théâtre, essais, etc. Le résultat fut, comme on s'en doute, absolument calamiteux : c'est à peine si je me souvenais du contenu d'un livre une semaine après l'avoir fini. Trop d'idées trop rapidement parcourues n'aboutirent qu'à une redoutable indigestion : après bien du temps et de l'énergie dépensés, je ne m'en trouvai pas mieux intellectuellement parlant (au contraire, je restai comme abasourdi, incapable d'idées, dans une confusion d'esprit totale). Je suis bien revenu de ma folie depuis. Tout d'abord, j'ai accepté l'idée que toute culture est nécessairement fragmentaire, lacunaire ; j'ai surtout compris que lire dans le sens noble du terme ne signifie pas enchaîner les lectures - fussent-elles "savantes" - à un rythme effréné. La lecture véritable demande du temps, de la rumination. Aussi, aujourd'hui, me semble-t-il préférable de sélectionner, parmi mes lectures toujours nombreuses, les auteurs qui me donnent le plus à penser, qui me causent les plus grands enthousiasmes, et de les méditer sans cesse, dès que j'en ai l'occasion. Mieux vaut une bibliothèque ne contenant que vingts auteurs soigneusement sélectionnés, que l'on lit et relit amoureusement , qu'une bibliothèque de milliers d'ouvrages hâtivement compulsés et jamais digérés ; pour qu'un auteur nous donne à penser, nourrissent nos réflexions, il faut s'être habitué à sa conversation de longue date - il faut nous donner le temps de dépasser le premier mouvement d'enthousiasme, de nous imprégner des nuances de sa pensée, et enfin de le dépasser, car un auteur ne nourrit notre réflexion qu'autant que nous avons appris à nous déprendre de lui (et en ce sens, la tâche est encore immense pour moi).

samedi 8 mai 2010

28 - L'inspiration.


L'inspiration n'est pas un marchand de tapis, si l'on ne lui donne pas audience à l'instant où elle se présente à nous, il est peu probable qu'elle daigne revenir plus tard.

27 - Le Paradis est où je suis.


J'ai souvent lu cette question : "A quelle époque auriez-vous aimé vivre ?". Réalise-t-on le manque total de sens d'une telle question ? A ceux qui y voient autre chose que l'occasion d'exprimer des fantasmes un peu naïfs, je propose la méditation suivante : croyons-nous vraiment que le contexte dans lequel nous vivons est strictement extérieur à nous ? Notre époque n'est-elle pas en nous ? Cela admis, conçoit-on la souffrance que représenterait pour chacun de nous la transposition de notre époque à une autre ? Combien de souffrance avant que la greffe soit acceptée, si encore il existe une chance qu'elle le soit ! Aussi, quand on me demande l'époque à laquelle je souhaiterais vivre, si je pouvais choisir, je réponds : le paradis est où je suis, nécessairement.


26 - Dire la vérité.


L'injonction kantienne de toujours dire la vérité témoigne d'une bien curieuse volonté de nier la réalité des êtres et des choses. Premièrement, de mémoire d'oreille humaine, jamais on a entendu - ni n'entendra jamais - quelqu'un révéler le contenu de La Vérité - chose impossible puisqu'il est soit inexistant (si la Vérité n'est qu'une idole boursoufflée) soit infiniment hors de notre portée. Deuxièmement, quant à ce que l'on appelle ordinairement "dire la vérité", cela se réduit - dans le meilleur des cas - à exposer à quelqu'un, sans intention consciente de le tromper, l'interprétation tout à fait partiale que nous avons d'une situation, autrement dit, la manière dont nous croyons l'avoir vécue d'après la reconstitution (simplification) effectuée par notre conscience.


jeudi 6 mai 2010

25 - Rire révélateur.


Le rire franc ne se contrôle pas, il n'est pas le fruit d'un calcul conscient ; il surgit parfois de profondeurs nettement en-deçà de ce que nous sommes capables de percevoir de nous-même. Laisse-moi observer ce qui te fait rire, je te dirai qui tu es...

mercredi 5 mai 2010

24 - Curiosité.


"Maintenant que tu as quinze ans, libre à toi de cuisiner tant que tu voudras, tous les plats que tu voudras ; mais, tant que tu n'auras pas dix-huit ans, défense absolue de regarder les émissions ou les magasines de cuisine !" Plutôt curieux, n'est-ce pas ? Transposons : " Maintenant que tu as quinze ans, libre à toi de mener ta vie sexuelle comme tu l'entends, de te livrer à toutes les pratiques qu'il te plaira ; mais, tant que tu n'auras pas dix-huit ans..."

23 - Force de l'aphorisme.


La force de l'aphorisme vient de ce qu'il permet de renfermer une signification très dense tout en attirant l'œil. En effet, sa forme brève ne décourage pas le paresseux (pourtant, qu'on me permette d'affirmer qu'il n'est pas possible de lire un aphorisme avec paresse) : alors que l'on aurait pas pris la peine de lire une démonstration suivie de 10 pages, ne s'aperçoit-on pas souvent que, d'aphorisme en aphorisme, on a déjà lu une trentaine de pages sans y prendre garde ? Mais l'on aurait tort d'en déduire qu'un aphorisme est facile à lire. Une fois lu, tout reste à faire : il faut interpréter. Sans compter qu'un aphorisme réussi dit parfois en une phrase plus qu'un livre entier.

22 - Ecouter un opéra.


Imaginez qu'un ami vous invite chez lui, vous prie de prendre place dans un de ses fauteuils. Une fois installé, il vous tend un casque "Tiens, écoute-moi un peu ça !" : dans le casque, vous entendez un film, en VO, sans visuel, donc. A la fin de cette curieuse séance, ne trouverez-vous pas votre ami bien loufoque s'il vous demande ce que vous avez pensé du film qu'il vient de vous faire ainsi découvrir ? Comment, en effet, pourriez-vous avoir la moindre idée de la valeur du film, si vous ne l'avez pas vu, si vous n'avez pas même compris de quoi il parle, si vous vous êtes contentés d'entendre les acteurs, la musique et les bruitages du film ? Qu'on me permette pourtant de faire remarquer que c'est généralement de cette manière que l'on aborde - et que l'on se fait un avis sur - l'opéra : on l'écoute, et encore, la plupart du temps, sans se soucier du texte. Certes, la musique à plus d'importance dans un opéra que dans un film, mais ce n'est pas une raison pour le traiter comme s'il s'agissait d'une romance sans paroles.


21 - Deus sive Natura... sive Ego


A-t-on assez remarqué à quel point ceux qui se réclament d'une quelconque transcendance ("Dieu", la "Nature", etc.) pensent savoir ce que sait et ce que veut cette transcendance comme s'il s'agissait d'eux-même - il est d'ailleurs tout à fait intéressant de constater la parfaite coïncidence qui existe presque toujours entre le système de valeurs d'un croyant et celui qu'il attribue à son Dieu. Ainsi, le Dieu d'un ascétique exige l'ascèse, celui d'un philanthrope la charité, celui d'un antisémite déteste les juifs ; ainsi encore, un homophobe déclarera que l'homosexualité est contre-Nature, c'est-à-dire va contre la volonté manifeste de cette divinité... Une question à ce sujet : comment quelque chose qui existe (qui est dans la nature, donc) pourrait-il être contre-nature ? Dans tous les cas, ne venons-nous pas de démasquer une manière particulièrement sournoise de conférer une autorité abusive à ses propres valeurs, pour les rendre écrasantes ?

20 - Bal masqué.


Les "valeurs", les "idéaux" ne sont généralement que des masques dont nous recouvrons nos instincts et nos intérêts pour nous donner bonne conscience tout en essayant de nous imposer aux autres - autorité de l'idéalité oblige. La société n'est qu'un vaste bal masqué.

19 - Dangereux pour les autres.


Entre mille autres, un point attire mon œil vigilant. Commençons par un exemple - mais ce que je m'apprête à révéler peut (et doit) être considérablement élargi : alors qu'une immense majorité de personnes lit, regarde ou a déjà lu, regardé des œuvres pornographiques, reconnaître qu'on s'adonne à ce genre d'activité reste quelque chose d'extrêmement mal vu, propre, au mieux, à nous attirer moqueries et regards torves. Qu'en conclure ? Que la plupart des gens condamnent les autres pour des activités auxquelles ils s'adonnent eux-mêmes -parfois avec une grande complaisance. A-t-on assez remarqué cette hypocrisie ? Déduction : presque tout le monde ayant tendance à se surestimer, à se croire meilleur que les autres, ce que l'on estime dangereux pour les autres nous paraît moins dangereux - sinon inoffensif - pour nous même... c'est que, comprenez, nous sommes tellement au-dessus de ces périls !


lundi 3 mai 2010

18 - Plus fort que Montesquieu.


Dans ses
Pensées, Montesquieu écrivait : "L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté." Moi, plus fort que Montesquieu, je renchéris : je n'ai jamais eu de chagrin que dix minutes d'écriture ne m'ait ôté ! A noter : Montesquieu parle de lecture, mais dans un sens particulier, actif ; il parle d'étude. S'il fallait trouver une formulation plus générale au phénomène dont il est ici question, nous dirions qu'il n'y a pas de chagrin qu'un temps relativement bref consacrée à une activité créative ne nous ôterait.


17 - Tomber sur un os.


Il serait vain de se voiler la face : quoi que l'on fasse, on finit toujours par tomber sur un os - sur quoi d'autre pourrions-nous donc tomber ? Seul échappatoire : avancer toute sa vie en rampant sur le ventre. Et encore...

16 - Aristippe et Hégésias


On s'étonne souvent de trouver parmi les disciples d'Aristippe de Cyrène - philosophe hédoniste qui prônait les plaisirs dynamiques de la vie
- un dénommé Hégésias, pessimiste profond, pour qui le bonheur est impossible et la sagesse consiste à se laisser mourir de faim. En fait, si l'on s'arrête un instant sur cette curiosité, qui n'est pas sans pareille dans l'histoire de la philosophie, on remarquera qu'un même chemin (comprendre : un même cheminement intellectuel initial) peut aboutir à des conclusions tout à fait différentes, voire totalement opposées, selon le tempérament de celui qui s'y aventure : ainsi, un tempérament plein de force tirera de sa lucidité tragique un surplus de force et de joie, un degré supérieur d'attachement à l'existence, là où une nature plus faible, plus morbide, tirera de cette même lucidité tragique la conclusion que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue (selon Nietzsche, l'interprétation du faible est celle-ci : la vie fait souffrir, donc la vie est un mal). Envisagé sous cette angle, ne pourrait-on pas affirmer que Cioran est l'Hégésias de Nietzsche ? Il y a de nombreuses affinités entre ces deux auteurs (la forme de leur écriture, bien sûr, mais surtout leur lucidité tragique face à la réalité), si ce n'est que Cioran écrit "le plus grand exploit de ma vie est d'être encore en vie" (Écartèlements) là où Nietzsche affirme avec force que "la souffrance n'est pas un argument contre la vie" (Ecce Homo). Ne pourrait-on pas aussi dire, en renversant les choses : Nietzsche est l'Aristippe de Schopenhauer ?


15 - Double malheur.


C'est une chose très désagréable de devoir perdre son temps et son énergie dans un travail détestable, qui nous force à nous avilir, à nous aliéner, voire à nous renier parfois. Chose infiniment plus regrettable encore : quand nous prodiguons ainsi nos forces à la nécessité de la subsistance, c'est alors que nous ressentons généralement, quand nous sommes en dehors de nos obligations, le plus puissant besoin d'un narcotique quelconque - le besoin d'oublier, de penser à autre chose ; c'est ainsi que notre esprit se trouve doublement anesthésié, et que l'on finit parfois par se rendre compte, au bout d'un laps de temps variable, que l'on a strictement rien fait qui vaille. Il faut posséder une force prodigieuse pour pouvoir préserver l'énergie de rester intelligent, actif et créatif dans l'épuisement de la nécessité même. En ce sens, l'on a pas toujours tort d'affirmer qu'un malheur ne vient jamais seul.


samedi 1 mai 2010

14 - Préjugé ordinaire


"Il n'y a que les autres qui soient susceptibles de bêtise." Affirmation rarement mise en avant avec autant de transparence, mais que l'on décrypte aisément derrière la plupart des jugements.

13 - Falsification


Chercher à ne pas se contredire, autre nom de la volonté de falsification. Celui qui ne se contredit jamais est un falsificateur qui veut en imposer aux autres ; il ne doit être écouté qu'avec la plus grande circonspection. Du reste, cela démontre une grande incompréhension de l'utilité de la contradiction, de la contradiction comme symptôme, comme révélateur de ce qui se cache au-delà ce que l'on croit savoir de nous-même.


12 - Analyse pratique (mais superficielle)


On aura beaucoup moins de mal à comprendre le comportement des autres quand on aura admis la profonde multiplicité de chacun ; multiplicité dans le temps - dans le sens où notre "personnalité" évolue, et que celui que nous sommes à 80 ans n'a généralement plus beaucoup à voir avec celui que nous étions à 16 - (cette multiplicité là, tout le monde en convient généralement, mais son utilité pratique est minime) mais surtout, et cela semble parfois moins évident, multiplicité dans l'instant même. Pour prendre un exemple simple (donc réducteur), si l'on envisage quelqu'un dans son activité professionnelle, il sera toujours au moins double - je dis "au moins" pour insister sur la réduction à laquelle je procède - puisque, d'une part, il aspire à remplir (à jouer) son rôle en tant que professionnel (traduction courante : à donner l'impression aux autres qu'il le remplit), mais que, d'autre part, il ne peut s'empêcher d'être, au-delà de ce rôle, un individu travaillé par une foule de pulsions et de désirs divers et contradictoires - contradictoires, souvent, avec l'attitude à tenir pour jouer son rôle -, par exemple celui d'avoir la paix, d'en faire le moins possible, de ne pas être dérangé, etc. Ce qui fait que certains "gardiens de la paix" n'hésitent pas à falsifier ou à forcer des aveux pour pouvoir en finir au plus vite, pour donner l'impression d'avoir résolu un cas ; que certains employés de SAV, s'empressent de se débarrasser de nous tout en se cachant derrière mille manifestations de leur désir profond de nous contenter ; etc., etc. Encore faut-il remarquer que j'ai pris pour exemple des situations où la multiplicité est évidente, c'est-à-dire aussi des situations où elle est particulièrement superficielle. Qu'on y réfléchisse sérieusement, on y trouvera un marteau pour ausculter bien des préjugés et des illusions - peut-être même un marteau pour les briser.


11 - Symphonie en Nietzsche majeur.


Il faudrait dire de Nietzsche ce que lui-même disait de Mozart : les médiocres n'ont pas le droit de le louer.

jeudi 29 avril 2010

10 - Cioran, un usage possible.


Il faut toujours avoir un livre de Cioran à portée de main, chose très utile et très nécessaire !... Surtout quand on a besoin d'un endroit où poser son pain au raisins. - Ou comment même le foyer du pessimisme le plus profond peut à sa manière servir de support à certains menus plaisirs. Qui a dit que le pessimisme contrariait la digestion ?

9 - Touche romantique.


Il me vient la folle envie de teinter mon blog d'une touche de romantisme. Je proclame donc haut et fort que je suis un grand incompris ! Romantisme facile et qui, quand on y réfléchit, ne s'aventure pas très loin, car qui peut se vanter d'être bien compris ? En toute rigueur, peut-on même affirmer que l'on se comprend toujours parfaitement soi-même ? Pour ma part, j'ai toujours pris un grand plaisir à la réponse que Jacques adresse à son maître quand ce dernier lui demande, avec une naïveté confondante, de dire - à propos d'une anecdote quelconque - "la chose comme elle est" : " JACQUES - Cela n'est pas aisé. N'a-t-on pas son caractère, son intérêt, son goût, ses passions, d'après quoi l'on exagère ou l'on atténue ? Dis la chose comme elle est !... Cela n'arrive peut-être pas deux fois en un jour dans toute une grande ville. Et celui qui vous écoute est-il mieux disposé que celui qui parle ? Non. D'où il doit arriver que deux fois à peine en un jour, dans toute une grande ville on soit entendu comme on dit." (Diderot, Jacques le Fataliste, Paris, Livre de Poche, 2000, p. 101). Tout compte fait, mon romantisme ne tourne-t-il pas un peu à... autre chose ?

8 - Crépuscule d'une Idole.


Sous ce titre - qui nous invite fortement à l'identifier à Nietzsche himself - Michel Onfray, ce zorro des temps modernes, prétend dessiller nos yeux aveuglés sur l'une des plus importantes idoles contemporaines - selon lui : Sigmund Freud. Avouons qu'il y a longtemps que la légende dorée freudienne ne dupe plus les perspicaces. Je n'ai certes pas lu ce livre - il y a quand même mieux à faire que de lire les dix livres que Michel Onfray publie chaque année (je n'en ai déjà que trop lus !) - mais je ne me suis pas dispensé d'écouter avec attention et intérêt les - trop - nombreuses interventions télévisées du très anti-parisien et très marginal Michel Onfray : ce qui m'est alors très clairement apparu, c'est que s'il y a une idole moderne dont il serait souhaitable que nous nous débarrassions urgemment, c'est bien plutôt de Michel Onfray lui-même.

7 - Mon pastiche et ses raisons.


Je le revendique d'emblée, afin de ne pas susciter la trop facile illusion de m'avoir démasqué (
malgré moi) : le style de ce blog est un mauvais pastiche de la Belle Humeur et des aphorismes nietzschéens. Pastiche assumé. La raison de ce choix ? L'aphorisme est une forme qui donne à penser, le style nietzschéen est plein de force et de gaieté, mais surtout, Nietzsche avait 24 ans lorsqu'il fit paraître la Naissance de la Tragédie ; comme j'ai moi aussi 24 ans, c'est tout naturellement que je me suis dit : Ecce Homo ! voilà qui il faut imiter !... Mais peut-être ne suis-je pas tout à fait honnête.

6 - Mon ironie.


Affirmer avec force, comme s'il s'agissait de la Vérité même, des perspectives... parfois bouffonnes. - Mon ironie par rapport à la Vérité.

5 - Ma formule.


Sans complexe, sans ordre, sans preuve, sans justification, sans mauvaise conscience, sans fausse humilité et avec un certain narcissisme joyeux et une pointe de cruauté... mais aussi sans sérieux, sans dogmatisme et sans prétention.

4 - Affinités électives.


Quand on parle de Maupassant... : "
Je ne vois absolument pas dans quel siècle de l'histoire on pourrait ramener à la fois dans ses filets des psychologues aussi curieux que délicats, que dans le Paris d'aujourd'hui : [...] pour en faire ressortir un de la race forte, un vrai Latin auquel je suis particulièrement attaché, Guy de Maupassant. " (Nietzsche, Ecce Homo , "Pourquoi je suis si avisé", paragraphe 3 - traduction d'Eric Blondel). Que Nietzsche voit en Maupassant un psychologue "aussi curieux que délicat", voilà qui suffit à prouver qu'il ne faut jamais se fier trop aveuglément aux avis d'un autre, fût-il aussi génial que Nietzsche. Sans doute ce que Nietzsche aimait en Maupassant, c'est une certaine conception, si "délicate" - nous dirions plutôt réductrice - de la "nature" féminine, que les deux auteurs semblent partager dans une certaine mesure. - C'est du moins mon impression, quand je lis, quelques pages plus loin : "Le combat pour l'égalité des droits est [...] un symptôme morbide [...] Plus la femme est femme, plus elle se défend avec bec et ongles contre les droits en tant que tels : l'état de nature, l'éternelle guerre entre les sexes, lui confère, et de loin, la première place." (Nietzsche, op. cit. "Pourquoi j'écris de si bons livres", paragraphe 5). Que l'on daigne comparer ces propos à ce que je disais plus haut de la "lucidité" présente dans Bel-Ami (2).

3 - Mon courage.


J'ai le courage de mes opinions jusque dans mes aveuglements et mes erreurs. Mieux vaut avoir tort que de se taire.

2 - Du côté de chez Bel-Ami


Quand je lis Bel-Ami, je ne peux m'empêcher d'y voir une variation superficielle sur le thème du Rouge et le Noir. Là réside probablement la clé de la popularité de Maupassant : n'avoir pas poussé la clairvoyance jusqu'à en devenir inaccessible au plus grand nombre. Car que découvre-t-on, finalement, dans Bel-Ami ? que la presse est un monde corrompu au service des intérêts des politiques et des riches ; que les hommes puissants sont influencés par leur femme ; leur femme par leur vagin ; et que donc, qui veut faire fortune le pourra s'il est assez séduisant pour faire succomber les femmes et assez calculateur pour en jouer. Tout juste de quoi procurer au lecteur la jubilation - le sentiment de puissance - que procure l'illusion d'accéder à un regard lucide, critique et acerbe sur le monde, quand, en réalité, on ne sort jamais des sentiers nous ramenant aux lieux les plus communs, sinon aux préjugés les plus vulgaires. Mais il est vrai que Stendhal avait la conscience, la volonté et l'honnêteté de n'écrire que pour quelques "happy few" - ce qui ne l'a pas empêché de trouver son public.

1 - Mickaël Vendetta et Blaise Pascal


Au fond, il vaudrait mieux être Mickaël Vendetta que Blaise Pascal. Envisagé de l'extérieur, il ne fait aucun doute que Pascal est d'une fréquentation infiniment plus intéressante (Mickaël Vendetta n'est intéressant que comme
symptôme, nullement comme fréquentation), cependant, l'estime de soi dans la bêtise me semble plus saine - plus viable - que la haine du moi dans la lucidité. Bien sûr, il existe une troisième solution - la meilleure : l'affirmation de soi dans la lucidité - dit autrement : la lucidité sans instinct morbide.