lundi 3 mai 2010

16 - Aristippe et Hégésias


On s'étonne souvent de trouver parmi les disciples d'Aristippe de Cyrène - philosophe hédoniste qui prônait les plaisirs dynamiques de la vie
- un dénommé Hégésias, pessimiste profond, pour qui le bonheur est impossible et la sagesse consiste à se laisser mourir de faim. En fait, si l'on s'arrête un instant sur cette curiosité, qui n'est pas sans pareille dans l'histoire de la philosophie, on remarquera qu'un même chemin (comprendre : un même cheminement intellectuel initial) peut aboutir à des conclusions tout à fait différentes, voire totalement opposées, selon le tempérament de celui qui s'y aventure : ainsi, un tempérament plein de force tirera de sa lucidité tragique un surplus de force et de joie, un degré supérieur d'attachement à l'existence, là où une nature plus faible, plus morbide, tirera de cette même lucidité tragique la conclusion que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue (selon Nietzsche, l'interprétation du faible est celle-ci : la vie fait souffrir, donc la vie est un mal). Envisagé sous cette angle, ne pourrait-on pas affirmer que Cioran est l'Hégésias de Nietzsche ? Il y a de nombreuses affinités entre ces deux auteurs (la forme de leur écriture, bien sûr, mais surtout leur lucidité tragique face à la réalité), si ce n'est que Cioran écrit "le plus grand exploit de ma vie est d'être encore en vie" (Écartèlements) là où Nietzsche affirme avec force que "la souffrance n'est pas un argument contre la vie" (Ecce Homo). Ne pourrait-on pas aussi dire, en renversant les choses : Nietzsche est l'Aristippe de Schopenhauer ?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire